On a vu l’intérêt de regrouper les encoches par paquets (voir Des regroupements par paquets), et tout porte à croire que nos ancêtres de l’époque de Pierre avaient compris l’importance de ce stratagème pour mieux écrire et « lire » les nombres.
Cependant, représenter ces groupes d’encoches par un signe spécifique – comme le fait si instinctivement Pierre dans la VFHN – c’est un pas supplémentaire vers un degré d’abstraction bien plus poussé.
En fait, Pierre Cromagnon est probablement en avance de plusieurs milliers d’années sur ses contemporains. Il faut en effet attendre le début du 4e millénaire avant J.-C. pour trouver des traces d’une telle représentation des nombres, par exemple dans les civilisations naissantes de Mésopotamie ou d’Égypte.
Attention : ceci ne signifie pas qu’aucun peuple ou qu’aucun individu n’a pu avoir la même idée bien avant cela. Nous pourrions tout simplement n’en avoir jamais trouvé aucune trace. En matière d’écriture, les vestiges des peuples anciens dépendent entièrement des supports utilisés. Un de nos très lointains ancêtres de l’âge de Pierre pourrait très bien avoir eu l’idée de remplacer un groupe d’encoche par un signe donné. Mais comment pourrions-nous le savoir, si, comme Pierre, il s’était cantonné à les tracer dans la terre ou dans le sable, pour des besoins immédiats, sans nécessité d’enregistrer le nombre pour le conserver ? Ou encore, il pourrait avoir utilisé un matériau plus durable, mais à durée de vie limitée. Imaginez ce qu’il restera de nos livres dans 20 000 ans…
Il convient de garder toujours à l’esprit cette limite incontournable à notre connaissance de l’Histoire ancienne.
Ceci étant dit, ce qui nous importe ici, c’est de comprendre comment une telle idée a pu naître dans l’esprit de nos ancêtres.
Il se peut qu’elle soit arrivée comme ça, d’un seul coup, sans explication, comme par un petit trait de génie, comme ce fut le cas pour Pierre. Cependant, on peut aussi imaginer un scénario tout à fait simple et plausible, plus lent et progressif, partant du constat que le seul regroupement d’encoches en paquets porte vite à confusion : sur les anciens bâtons de comptage, ces groupes ne sont d’ailleurs pas si facile à distinguer.
Un premier exemple d’amélioration auquel on peut penser est celui des sinistres inscriptions gravées par les prisonniers sur les parois de leurs cachots, pour compter les jours écoulés. Si le prisonnier compte sur les doigts de la main, au fil du temps il aura gravé quelque chose comme ça :

Ici, le groupe de 4 traits verticaux barrés constitue déjà une sorte de signe, et il aide grandement à la lecture du nombre représenté.
On peut aussi se souvenir de ce que nous faisons quand on décompte des objets un à un, des votes par exemple. On fera des traits, bien sûr, mais, pour se faciliter la tâche, on pourra décider d' »organiser » les traits d’une certaine manière, pour faire clairement apparaitre des paquets. Par exemple on pourra compter sur les doigts d’une main et essayer de constituer des carrés. On obtiendra successivement les écritures suivantes :
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Et, au final, un nombre (ici le nombre 17) pourra être représenté par quelque chose comme ça :

Dans ces deux cas, la façon d’organiser les encoches débouche sur la création de signes, et on obtient en réalité un symbolisme qui permet de saisir rapidement la valeur représentée par tous ces traits. Le 2e exemple est particulièrement intéressant, car il conduit à l’invention de ce que nous pourrions appeler cinq « chiffres »…
L’apparition de signes, autres que le trait, découle encore une fois du besoin d’écrire et de lire les nombres de la manière la plus efficace et la plus économique possible… La paresse s’avère ici un excellent moteur de l’intelligence !
Remarquons pour finir que ces deux exemples sont déterminés par le fait que l’on compte sur les doigts d’une main, de cinq en cinq. Ceci peut paraitre une évidence, mais ce n’est absolument pas le cas, et, au cours de l’Histoire, de très nombreux peuples ont agi différemment.
Ce sera l’objet d’autres billets!
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