Des regroupements par paquets

Faire des encoches, c’est pratique, bien sûr. Mais jusqu’à un certain point seulement, comme le remarque justement Pierre Cromagnon.
Plus les nombres à enregistrer sont élevés, plus cette écriture rudimentaire s’avère inefficace… Imaginez par exemple le temps qu’il faudrait pour graver le nombre 161, pourtant pas si grand que ça, dans un os de babouin !
Vous objecterez avec raison que Pierre ne grave pas, qu’il écrit dans la terre, ce qui est beaucoup plus facile. Il n’empêche, cet exercice est long, fastidieux, et surtout, il présente un risque d’erreur élevé.
Autre inconvénient majeur: un nombre représenté par une suite d’encoches devient très rapidement illisible, à moins de gros efforts. En effet, comme la plupart des animaux, l’être humain souffre d’une bien piètre perception visuelle. Des expériences ont montré que le corbeau peut distinguer des ensembles de 2, 3 ou 4 objets, mais pas plus. Au-delà de 5, le corbeau se trompe presque toujours. Il en va de même pour nous. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les deux nombres suivants : nombres-corbeau

Ces deux nombres – pourtant assez petits – sont indiscernables à l’œil nu pour la plupart des êtres humains « normaux ». Il est presque impossible de les identifier sans passer par une opération mentale de comptage.
Ainsi, les peuples qui ont été confronté à la nécessité de manier des quantités importantes se sont forcément, à un moment ou un autre, posé la question suivante : comment représenter les nombres de manière économique, et facile à visualiser ?
Il y a 30 000 ans, nos ancêtres avaient déjà trouvé une première réponse à cette question : on peut regrouper les encoches par paquets, que l’on pourra distinguer plus facilement. Par exemple le nombre suivant :
nombre11

devient beaucoup lisible si on l’écrit de la manière suivante, en dégageant des groupes de 4 encoches :
2gde-4et-3

Cette idée très simple, qui consiste en quelque sorte à introduire des « ordres de grandeur de référence » s’avèrera extrêmement fructueuse, comme nous le verrons au fil de l’Histoire.

Sur l’os de loup de Vestonice (voir Les bâtons de comptage), vieux de plus de 30 000 ans, les 25 premières encoches semblent regroupées en paquets de 5, ce qui suggère que « l’auteur » de ce « document » est déjà conscient de cette solution.

C’est du moins ce que nous pensons, car nous ne pouvons être absolument certains que ces regroupements avaient pour seule fonction d’améliorer la lisibilité du nombre inscrit. De nombreuses autres explications sont également valables : on pourrait par exemple imaginer que l’os présente le compte de différentes objets, et chaque paquet concerne un de ces types d’objets.
Sur les Os d’Ishango (voir Les bâtons de comptage), les encoches sont également réparties en paquets. Mais ces paquets ne sont pas toujours de tailles égales, ce qui indique là aussi que ce regroupement en paquets avait probablement une autre utilité.

L’étrangeté de ces vestiges a fait couler beaucoup d’encre, avec une quantité de suppositions plus ou moins farfelues sur les possibles connaissances mathématiques de leurs anciens auteurs.

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